A y bien regarder, tout semblait paisible. Leurs craintes n’étaient pas fondées. Elles ne l’avaient jamais été. A peine si, au fond des couloirs, on percevait quelques gémissements - les plaintes de ceux pour qui l’on ne pouvait plus rien , et les larmes de ceux qui ne le savaient que trop.
Parce qu’eux mêmes ne pleuraient pas. Ils ne pleuraient plus. Est-ce que l’on s’apitoie sur son propre sort? Sur celui de ceux qui restent et qu’on laisse derrière soi, oui, sans doute, mais pas sur le sien!
Parce que tout est si clair, et qu’il n’y a jamais rien à regretter. Même si les ombres s’étirent démesurément, et finissent par voiler la lumière plus tôt que prévu.
Ils lui ont laissé trois mois.
En entrant, ils ont dit qu’ils avaient de mauvaises nouvelles.
Trois mois.
Et ils sont repartis. Ils l’ont abandonné. Seul. Porte close. Souffle coupé.
Trois mois?
Vraiment? Pas plus?
Qu’est-ce qu’on fait en trois mois?
Tout juste le temps de lire quelques livres, de commencer le roman qu’on ne finira jamais d’écrire, de poser les premières touches sur cette toile blanche qui attendait depuis des années, tout juste le temps d’aller, enfin, à Venise - ô, au moins ça! -, et peut-être d’aimer encore?
Trois mois?
Quand il faudrait plus d’une vie pour commencer seulement à réaliser ses rêves…
Et à peine trente secondes de larmes. Pas plus.
Parce que ça n’en vaut pas la peine.
Remplacer les larmes par la colère - une colère digne des dieux.
Se révolter, et que cette révolte emporte tout, balaye tout. Tempête. Qu’elle se déchaîne. Même aux instants où la souffrance est insupportable, mais que, magnanime, on ne peut se résoudre à souhaiter les mêmes tortures à qui que ce soit, fût-ce à son pire ennemi.
Si insupportable.
Remplacer les larmes par la haine.
La haine pour ceux qui devraient soigner et qui ne vous regardent qu’avec condescendance, qu’avec mépris, et ne vous touchent que du bout des doigts.
Pour ceux qui vous rencontrent et qui ne vous sourient et ne vous parlent que du bout des lèvres.
Pour ceux qui disaient vous aimer et qui ne prennent de vos nouvelles que de loin, du bout du cœur.
La haine.
Pour survivre. Vivre encore un peu.
Et qu’elles vous laissent épuisé, peut-être, mais capable de tout supporter, tout surmonter - et le désespoir.
Et qu’elles le rendent immortel.
Parce qu’il aurait su vaincre, et que, victorieux alors, il le serait toujours. Alors, juste quelques larmes.
Et plus un mot, plus une plainte.
Juste la dérision, qui le soustrait à l’angoisse, et l’ancre à la réalité.
Et sourire - même plus pour cacher ses larmes, il n’en a plus -, mais parce que c’est encore la seule façon de narguer le sort.
Parce qu’il est plus fort que lui.
Parce qu’il est devenu immortel.
Ikkar
The show must go on
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